Chapitre Premier(1)
Je m'appelle Etienne. Ma mère m'a choisi ce prénom car c'est le premier qu'elle a lu en ouvrant une page au hasard alors qu'elle venait d'apprendre ma future venue. Elle a lu la signification, aimait bien la sonorité et ce qu'il s'en dégageait, en a parlé à mon père qui a été séduit également, et c'est ainsi qu'on sût comment m'appeler alors même que je ne faisais que dix centimètres de long.
Je suis arrivé dans la douleur, mais ma peau douce et mes yeux bleus de nouveau-né firent oublier très vite à ma mère les larmes qui avaient coulé des heures durant. Je fus choyé, aimé, embrassé, chatouillé comme il se doit. Je grandis vite, trop aux yeux de mes parents, et je devins un bambin blondinet, le regard vert, le sourire facile. Enfance calme, avec un grand frère, Aurélien, qui avait un an de plus que moi. En grandissant, j'appris à aller à l'école sans pleurer, à faire mes devoirs sans rechigner, à jouer sans faire de bruit, à pleurer sans me faire voir, et à faire des bêtises sans me faire prendre. Je me rends compte maintenant que cela fait beaucoup de leurres, de mensonges, de cachoteries. Il y a tellement de choses qu'il faut garder en soi, taire, pour être dans une norme, pour avoir une certaine liberté et crédibilité aux yeux des autres... Je devins un pro de la simulation, et ainsi un éternel incompris. Et puis de mal en pis, les habitudes restent et plus j'étais secret, agréable et poli, plus j'étais en dehors de tout soupçon. Mon frère n'avait pas le même caractère que moi, il était moins bon élève et plus tumultueux en apparence. Son manque de confiance en lui le poussait à essayer de se faire remarquer, à faire des bêtises. C'était mon idole. Je le suivais partout, il m'apprit à cracher par terre, à marcher d'une façon très masculine et virile, à me battre et à être facétieux. L'élève dépassa son maître, mais comme toujours je savais être discret, et beaucoup de retombées étaient sur Aurélien.
Je devins un tombeur au lycée. Les filles savaient remarquer ce charme qui fait qu'avec un regard innocent on peut quand même faire rire avec des farces de mauvais garçon, et que mes allures racées, ma démarche assurée, ne m'empêchaient pas de fumer et de faire impression. Toutes les filles sont attirées par ce genre de gars à la belle apparence qui gâche ses atouts. Je prenais des airs nonchalants en cours, des attitudes très décontractes et était toujours dans le fond avec les mauvais à rire et gribouiller des cahiers au lieu d'écouter avec assiduité les cours. Mais mes notes étaient bonnes, mon carnet scolaire ne comprit pas énormément de mauvaises appréciations de conduite, et je réussis souvent à éviter les heures de colle. Mes parents se satisfaisaient de ça, et reportaient leur attention et leur désarroi sur mon aîné qui avait un peu plus de mal.
Dès qu'une bêtise était faite, aussitôt un larcin découvert, que ce soit le mien ou non, Aurélien était accusé sans préambule, mais sa fierté et son rôle de grand frère protecteur le faisait se taire. Nous réglions nos comptes ensuite, et moult fois cela se terminait en bagarre ou mes économies me sauvaient. Il fut riche de mon argent de poche, je fus protégé d'avantage contre le rôle d'alléger ses peines ou de le couvrir lorsqu'il fallait. Ainsi une petite vie de famille soudée se déroulait, me donnant valeurs, amour, protection, et quelques notions de religion lors des vacances chez mes grands-parents.
Les filles, je les faisais craquer. Souvent elles me regardaient et baissaient les yeux essayent de cacher un rougissement ou une timidité. C'est à ça que je le savais. Pourtant je les fuyais. Elles m'intriguaient énormément et je ne savais quel comportement adopter en leur compagnie. Chez moi, ma mère était reine de toutes les attentions. Nous avions appris à la soulager dans ses tâches et à avoir des attentions envers elle. Mon père très gentleman tenait à nous répéter invariablement: "une femme doit être protégée, aimée, félicitée, complimentée et admirée". Il nous demandait d'être galant et d'adopter une conduite de sorte que chaque personne féminine se sente unique et valorisée en notre compagnie. Or au lycée, ce n'était pas si facile. Mes copains ne m'en parlaient pas de la même façon et j'apprenais la méthode "macho enroué" à leurs côtés. Je ne participais pas à leurs anecdotes, je me contentais d'acquiescer ou de rire à leurs propos. Ce sont eux qui me parlaient de leurs expériences, de leurs rêves, de leurs fantasmes. Ils se moquaient de moi et de ma fuite devant l'ennemi. Mais grâce à mes savant coups de poing et à ma réputation d'intouchable, ils me respectaient. Et puis ils aimaient m'avoir avec eux, car cela attirait comme des mouches les petites demoiselles qui succombaient de temps en temps sous leurs discours enthousiastes.
Je fis de bonnes, de mauvaises expériences, mais toujours sous le couvert de mon frère ou de mon ingéniosité. J'arrivais à un point de non retour, à une complexité intérieure faite de dilemmes, de choix. Mes deux environnements, social et familial, se heurtaient de plus en plus, ce qui m'amena à devenir très renfermé, observateur, et perdu.
Je commençais les drogues. Oh elles n'étaient pas les plus addictives, les plus fortes. J'avais peur de la cocaïne, de l'ectasie, qui pourtant m'attiraient avec leurs vertus de plénitude et de big bang intérieur. Je me contentais pourtant de la marijuana. Cela me faisait me sentir bien à la sortie des cours, et à relativiser mes grands problèmes existentiels. Je ne devins pas dépendant, mais appréciais d'être sur ce fil, de faire le funambule sur la corde qui séparait mes parents de mes relations.
Cette période de mon adolescence me marqua au plus au point car plus j'avançais, plus il y avait de tentations qui me donnaient de grandes frustrations. Je me sentais fort, solitaire, et plein de pouvoir sur ma vie qui cherchait à être indépendante et originale. Je me fis violence sur tellement d'expériences à tenter, et essayais d'oublier les filles et leur peau a l'air si doux, les drogues aux promesses d'extase, les larcins trop dangereux au goût d'aventure. J'avais besoin d'adrénaline, j'en demandais même, et puis je regardais ma mère, toujours le sourire aux lèvres et la fierté dans les yeux lorsqu'elle se tournait vers moi, et je décidais de ne pas la décevoir, ou du moins d'essayer!
Finalement les années s'enchainaient à une vitesse rythmée sur le même tempo que mon cœur... soit à toute allure, soit aussi lentement qu'une heure qui ressemble à une journée. Mais je savais apprécier chaque moment en broyant du noir sur la métaphysique de mes sentiments, ou en buvant et fêtant des événements prétextes avec mes amis.
J'appris à m'approcher des filles, à les draguer, à les emmener rêver rien qu'en faisant le tour du périf, les cheveux au vent, les mains vers les étoiles. Ma décapotable était ma fierté. J'avais fait des petites boulots l'été, j'avais un peu dealé aussi et tout ça m'avait offert cette petite occasion qui faisait mon bonheur.